Peindre le Rap

Le rap et la peinture, deux milieux traditionnellement assez éloignés semblent se rapprocher de plus en plus

2022-04-22

Rap FR

Sur les réseaux sociaux, les comptes d’artistes reproduisant des pochettes d’albums de rap en peinture se multiplient. De la copie fidèle à la réinterprétation totale, ces artistes peintres proposent un nouveau regard sur le travail des photographes. Dans le même temps, de plus en plus de rappeurs illustrent leurs projets avec des toiles peintes rapprochant ces deux arts traditionnellement éloignés. Pour comprendre ce double phénomène, nous avons échangé avec Marjo (@marjo__mnr), artiste peintre passionnée de musique urbaine.

Sélection de 350 covers à forte esthétiques graphiques (peintures, collages, illustrations) triées par teinte

La peinture pour illustrer les albums de rap

Aujourd’hui, les covers ne sont plus contraintes de mentionner le nom de l’artiste et le titre de l'œuvre. Les illustrations d’albums et d’EP ont alors tendance à s’épurer et les pochettes-peintures apparaissent un peu partout. Les rappeurs peuvent reprendre une toile existante ou bien la faire produire sur-mesure par un artiste peintre. Le choix de la pochette-peinture provoque un effet de surprise et de nouveauté. Elle permet aux artistes d’associer une création artisanale à leur musique. Interrogé à ce sujet, le rappeur parisien M le Maudit nous a expliqué qu’il avait choisi de travailler sur une peinture avec Stéphanie Macaigne pour la cover de « Poème poison » en référence aux portraits des nobles des siècles passés qui utilisaient cette pratique artistique pour laisser la trace de leur passage sur terre à la postérité.

Poème Poison - M Le Maudit (gauche)
KOLAF - La Fève (droite)

L’existence d’une oeuvre originale et non reproductible ajoute une dimension sacrale au travail de la pochette et c’est d’ailleurs ce qui est mis en avant dans la Grünt #43 accueillant La Fève où la toile de l’EP « KOLAF » protégée d’un cadre s'intègre à  l’appartement luxueux choisi pour la session de freestyle.

Le travail de collaboration entre rappeur et artiste peintre

Pour la création de toiles originales, un nouveau rapport se crée entre l’artiste peintre et la musique que la pochette illustrera. Khali a partagé sur ses réseaux les différentes étapes de travail pour aboutir à la peinture de “Laïla” peinte par Antonio J. Ainscough expliquant ce qu’ils ont cherché à transmettre comme émotions tout au long du processus.

Peintures de @ajainscough publiées sur instagram
LAILA - Khali (par Antonio J. Ainscough)

Marjo, artiste peintre, qui a collaboré avec Lpee et Nali a eu accès aux morceaux inédits pour bien s’imprégner de la vision artistique et pour comprendre où le rappeur cherchait à amener ses auditeurs. Pour la réalisation de « Spectre Vol. 3 » de Nali, elle nous a expliqué le procédé de création :

Il m’a demandé de partir d’une photo de son père et que je fasse quelque chose de très abstrait, qu’on ne le reconnaisse pas mais qu’il apparaisse comme une figure protectrice sur la pochette
Il m’a laissé carte blanche pour la réalisation mais il y avait déjà une espèce de scénario, des idées bien précises sur les ressentis qu’il voulait. 

- Marjo, artiste peintre

Spectre Vol. 3 - Nali

Le résultat de cette collaboration dépend alors des orientations données par les rappeurs et de la capacité des artistes peintres à les comprendre puis à les retranscrire sur la toile. Comme Zinée le raconte au média 1863, on doit la pochette de l’EP « Cobalt » à la connexion particulière qui lie la rappeuse toulousaine à l’artiste peintre Bouherrour. 

COBALT - Zinée

Le phénomène de reproduction de covers

En France, c’est principalement Stéphanie Macaigne (@s_tph.mcg) qui a initié cette pratique à partir de 2018. Depuis, de nombreux comptes Instagram comme celui de Marjo (@marjo__mnr) publient des covers de rap en peinture. Ce croisement des arts est surprenant car le rap est un art de rue traditionnellement opposé à la peinture, exception faite du graffiti. Pour comprendre le succès de cette pratique, Marjo y voit l’importance des différents styles artistiques.

 

Ce qui est passionnant dans la peinture, c’est que parmi tous les artistes qui font des reproductions, tu n’auras jamais deux fois la même œuvre. La manière de peindre, les imperfections font que les toiles se démarquent les unes des autres

- Marjo, artiste peintre

Les reproductions en peinture sont un moyen pour contenter les auditeurs de rap qui se plaisent à voir la pochette de leur album préféré reproduit sous une autre forme. Le développement de cette pratique pose alors des questions de droits d’auteurs et particulièrement la question de la légalité d’un commerce fait sur la base d'œuvres reproduites. A ce sujet, Marjo nous dit qu’elle a déjà été contacté pour réaliser des impressions de ses toiles afin de les vendre sur un site dédié. Seulement son activité de passionnée n’est pas tournée vers le profit : 

Je le fais pour moi, c’est difficile de se séparer d’une peinture que tu as faite. J’aurais vraiment eu l’impression de me faire de l’argent sur le dos des artistes que j'écoute

- Marjo, artiste peintre

Sa pratique de la reproduction est d’abord tournée vers elle, pour se faire plaisir et figer dans le temps la reconnaissance qu’elle a envers certains albums. Son attachement allant jusqu’à se faire dédicacer ses toiles par les artistes à l'issue des concerts afin de refermer le cercle.

Les liens entre peinture et rap

De nombreux artistes construisent leur direction artistique en lien avec la peinture. Cette pratique artistique manuelle usant de couleurs et de techniques variées pour figurer le monde ou faire ressentir des émotions est assez proche du travail de création musicale qui utilise des mots et des sons dans le même but. On retrouve ce lien chez Oboy, B.B Jacques et Lpee notamment avec ses albums intitulés « Monochrome » dont la réédition du volume 2 est d’ailleurs la reproduction en peinture de la pochette réalisée par Marjo.

No Crari - OBOY (gauche)
Poésie d'une pulsion - BB Jacques (milieu)
Monochrome, vol 2.1 - Lpee (droite)

 

Le champ lexical de la peinture nourrit de nombreux artistes jusque dans les titres de leurs projets. C’est la cas chez Frenetik avec « Jeu de couleurs », Zamdane avec « Couleur de ma peine » ou encore 7 Jaws avec « Je vois les couleurs ». Enfin, certains artistes sont à la fois rappeurs et artistes peintres, c’est le cas de Michaël Eveno mieux connu sous le nom de Grems ayant d’ailleurs réalisé la peinture de la mixtape « Codex Gigas » de Éloquence & Joe Lucazz.

J'en ai vu de toutes les couleurs avant d'passer sur Colors mais ça, très peu le savent

Frenetik, Freestyle Booska’Peinture

La peinture apporte une fraîcheur aux illustrations d’albums de rap et le phénomène de reproduction de covers séduit les auditeurs. Le 9 avril dernier, le youtubeur Raska a consacré une vidéo à ce sujet. Accompagné de TheoBabac et de YassEncore, ils se challengent autour de la reproduction de covers en peinture en faisant ainsi un sujet de divertissement.

Enfin, si on note une augmentation significative des pochettes-peintes depuis quelques années, d’autres pratiques issues des arts plastiques s’invitent chez les rappeurs. On retrouve le collage chez Youri, Limsa et chez Swift Guad & Raw Saitama, le croquis chez JMK$ & Beamer et on observe plus récemment le développement d’une nouvelle mode artistique ; la modélisation 3D que l’on retrouve notamment chez thaHomey et 99 & Wolfkid.

Tsar Trap Vol 3 - Youri (gauche)
Logique Part 3 - Limsa (milieu)
Guernica - Swift Guad (droite)
Grand Casino Deluxe - 99 & Wolfkid (gauche)
Rare Files 2 - thaHomey (droite)


Dans une autre époque, on serait des peintres et des poètes

- Infinit - Cru - NSMLM (2017)



🖊️ Rédigé par Gaspard
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