Les artistes FR et la haute couture

Après les Américains, c’est au tour des artistes francophones d’être recrutés par les marques de luxe

2022-08-17

Rap FR

Kanye West et Balmain, A$ap Rocky pour Dior, Pharrell Williams chez Chanel, Cardi B et Balenciaga ou encore Nicki Minaj pour Louis Vuitton. Depuis des années, de nombreuses stars du rap américain collaborent avec de célèbres marques de luxe. Et c’est aujourd’hui au tour des artistes francophones d’être à l’affiche, à l’image de Lous and the Yakuza, égérie Louis Vuitton, de Luv Resval, mannequin Lanvin, ou encore d’Orelsan, vêtu de Dior sur mesure pour toute la tournée de Civilisation. Pour comprendre les contours de ce phénomène, nous avons discuté avec Mariaelena Morelli, styliste qui a notamment travaillé avec Ichon.

Rap & luxe, une histoire d’amour ?

Une image contenant personne, toiletteDescription générée automatiquement
Capture d'écran du clip Haut Standing de SCH

En 2018, Georgio collabore avec Givenchy pour la promotion du parfum Gentleman. Cette association, étonnante de la part du rappeur du 18ème, lui permet de redéfinir son image là où pour la marque c’est le moyen de toucher un nouveau public. S’il existe initialement un écart entre art populaire et luxe, une grande partie des artistes urbains revendiquent pourtant leur attrait pour la mode dans leurs clips ou via le name dropping de certaines marques. L’appropriation de ces codes traduit une réussite financière rendue possible par le succès de leur activité artistique ou d’activités souterraines.

Givenchy, Margiela, Saint-Laurent, Gabbana, Gucci, ‘sace, Y-3, Prad
Givenchy, Margiela, Saint-Laurent, Gabbana, argent facile, facile, facile

SCH, Facile (2018)

Au-delà de leur musique, plusieurs rappeurs francophones ont développé en parallèle de leur carrière une activité de mannequin pour des marques de luxe, que ce soit pour leur physique, comme c’est le cas pour S-Pri Noir qui a collaboré avec Cartier ou Kenzo, ou pour leur aura artistique et leur goût revendiqué pour la mode comme chez Kekra avec le lancement de la sneakers Maison Margiela « Replica Bubble » en 2020. D’autres collaborations existent, notamment avec Angèle dont toutes les tenues de scènes de sa dernière tournée ont été réalisées par Chanel ou encore avec Ichon qui se produit régulièrement à la Fashion Week ou pour des évènements privés liés à des marques de vêtements.

J'passe de Balenciaga Arena à Maison Martin Margiela
Tony Sopra' sans sa Carmela

Kekra, John Wayne (2015)

Une relation déséquilibrée  

Cependant même si les rappeurs affirment de plus en plus leur amour pour le luxe, peu de marques s'engagent dans de véritables collaborations. Mariaelena Morelli explique qu’il est rare que les marques de luxe acceptent d’habiller un rappeur et de réellement collaborer avec lui.

« Peu de stylistes de rappeurs sont vraiment en contact avec les marques de luxe. C’est elles qui choisissent de travailler avec l’artiste. »

Malgré les quelques collaborations qui apparaissent ces dernières années, les rappeurs pâtissent encore et toujours d’une mauvaise image dans ce milieu. Le rap, bien que populaire et donc commercialement intéressant, reste vu comme un terrain trop risqué pour beaucoup de grandes marques. La culture urbaine étant encore souvent perçue comme un bloc monolithique, certains cas isolés suffisent à refroidir les velléités de rapprochement avec l’ensemble de la scène.

En septembre 2020, Lacoste a stoppé ses collaborations avec Moha la Squale et Roméo Elvis, tous deux accusés d'agression sexuelle. L’ampleur de cette polémique a affecté les relations, jusque-là en expansion, entre les industries du rap et du luxe. Marialelena nous a confirmé l’impact de la polémique : « C’est arrivé une seule fois qu’on m’ait dit non pour Ichon. C’était une marque de lunettes et c’était après le scandale d’un rappeur accusé d’agression sexuelle. La réponse du chargé de relations publiques c’était de me dire « Non, on ne veut pas travailler avec un rappeur ».

Une marque de luxe m'a dit « on veut pas de rap »
Tu connais les ches-ri »

Nekfeu, Egérie (2015)

Des enjeux surtout commerciaux

Dior réalise les tenues de scène d'Orelsan pour sa tournée - Le Site de la  Sneaker
Orelsan, habillé par Dior pour la tournée Civilisation

Si les collaborations entre rap et haute-couture sont en développement, elles semblent pourtant limitées par un plafond de verre. Elles se font généralement à l’occasion de projets spécifiques comme un défilé ou un lancement de gamme. Les supports de communication associés sont principalement digitaux et la diffusion seulement nationale. A l’opposée, on constate que les égéries choisies pour représenter une marque de luxe à l’internationale avec des grandes campagnes d’affichage print sont des popstars ou des acteurs. D’après Mariaelena Morelli, le profil de l’artiste urbain reste associé en France au luxe accessible, c’est-à-dire aux produits de beauté, à la parfumerie ou à la maroquinerie, qui permettent la survie économique des marques de luxe. Cette dernière sait que grâce à la notoriété de l’artiste, elle va pouvoir toucher un public plus large et plus populaire intéressé par ses produits d’entrée de gamme.

Pour les collaborations avec des rappeurs, une marque choisit un artiste parce qu'il touche un marché particulier en France.

-Mariaelena Morelli

La seule artiste urbaine francophone qui pourrait vraiment être qualifiée d’égérie d’une marque de luxe, c’est Lous and the Yakuza avec Vuitton. Elle ouvre ou ferme les défilés depuis plus de quatre ans et apparaît dans une pub pour lunettes bénéficiant d’une grosse campagne d’affichage. Pour le reste, les artistes urbains francophones ne sont pas ceux mis en avant pour les campagnes de pub principales et ne peuvent donc pas être considérés comme “égérie” d’une marque.

Ça va être difficile pour un artiste qui chante en français d’obtenir une aura internationale et du coup cela limite leur lien avec les campagnes worldwide des marques

-Mariaelena Morelli

La recherche de la rentabilité est telle que, d'après les propos de Mariaelena “Certaines marques n’acceptent pas d’habiller les clips car on ne peut pas les créditer comme pour les photos”. A contrario, collaborer avec des artistes rap pour designer les costumes de leur tournée est intéressant pour une marque. Elle n’a pas à mettre en place une communication importante, puisque le public de l'artiste s’en charge en repostant sur les réseaux sociaux des vêtements déjà produits.

Avec les concerts et la communication, un nouveau public de clients est touché, un public qui veut ressembler à son artiste préféré

-Mariaelena Morelli

La mode au service du rap ou vice-versa ? L’exemple d’Ichon

Ichon pour le Kiss Kiss, sac de la marque Antidote

Passionné de mode, Ichon a poussé le vice jusqu’à être absent aux épreuves du bac après avoir choisi de sortir faire la fête toute la nuit à la Fashion Week comme il le racontait au micro de Sophie-Marie Larrouy pour son podcast « À bientôt de te revoir ». En parallèle de ses projets avec Bon Gamin, Ichon s’aventure dans le monde de la mode en commencant par être mannequin pour Margiela et Yohji Yamamoto. Il y officie comme fiting body, un homme choisi pour porter toute la collection et sur lequel les prototypes et les essayages étaient réalisés.

Moi ça ne m’intéresse pas de mettre mes artistes chez Vuitton, Dior, Prada et rentrer dans leurs codes. C’est mon artiste niche, il faut que tout reste niche.

-Mariaelena Morelli

Pour développer l’image d’Ichon, Mariaelena a cherché à le faire collaborer avec de jeunes marques de créateurs. Comme avec LOEWE qu’elle a contactée pour le Arte Concert d’Ichon et qui, au-delà d'accepter de collaborer avec l’artiste, a choisi de se positionner avec lui sur les réseaux sociaux et lors de défilés. Mariaelena explique : « Depuis il reçoit des cadeaux, on peut demander la marque quand on veut et on l'a, c'est un positionnement concret d’image d’un artiste avec une des marques de luxe de niche les plus importantes ». Par ailleurs, Ichon aimant repousser les codes de la mode, il a récemment posé en crop-top pour la marque parisienne Antidote. Le succès de cette campagne a donné de la visibilité tant à sa carrière de musicien qu’à ses activités dans le mannequinat.

Dans le monde de la mode, tout le monde ne suit pas les mêmes codes, certains sont intéressés par la musique, d’autres par les acteurs, les danseurs ou même les peintres. C’est normal que le rap ne soit pas encore totalement intégré
Il reste une petite niche avec ce marché mais tout le monde ne la touche pas. Choisir de travailler avec la musique et puis avec le rap français, ça fait déjà beaucoup d’étapes. C’est pour ça qu’il y en a peu qui sont connectés à la mode

-Mariaelena Morelli

Collaborer avec des artistes urbains francophones permet donc aux marques de luxe de toucher de nouvelles cibles et leur investissement est proportionnel à la taille du marché francophone. Les artistes qui acceptent de jouer le jeu le font souvent pour affirmer leur réussite et leur goût pour le luxe mais parfois au détriment de leur identité artistique, qui passe alors au second plan. Certaines collaborations servent ainsi plus la marque et son économie car comme le résume Mariaelena

De la part de la marque, c’est une tentative pour devenir mainstream, elle doit se connecter à des artistes qui sont beaucoup suivis mais qui coûtent moins cher que prendre Damso

-Mariaelena Morelli

Sacoche Jean-Paul Gauthier, tout y est, Off White, Nike, ACG, Pantalon DG, t-shirt, CDG
Comme Des Garçons, Polo Ralph sur mon caleçon
Les chaussettes, les chaussettes Celine, les bottines Gucci, le bonnet Prada, ceinture Louis Vuitton
Parfum Saint-Laurent, anorak Balenci', poto, j'ai pas menti, jamais je n'ralentis

Josman , PLU$$$ (2022)

🖊 Rédigé par Gaspard
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