Totally Spies, Wakfu et Dexter, quand les cartoons s’invitent dans les seizes

Les Totally Spies, Le Club Dorothée, Dora, Wakfu, Dexter... Les rappeurs n'hésitent pas à s’approprier les dessins animés pour les détourner au travers de références décomplexés !

Rap FR

Au crépuscule de l’âge d’or du Club Dorothée, une flopée de nouveaux programmes débarque sur les chaînes de télévision. Midi Les Zouzous, TF! Jeunesse, Télétoon + abreuvent les enfants d’histoires délirantes où cafards, aliens, espionnes et petits hommes bleus se partagent le créneau du matin. Une petite décennie plus tard, les références aux Totally Spies et consorts ne tardent pas à pulluler dans les seizes du rap français, Dora l’exploratrice en tête avec pas moins de 117 mentions.

Émission de télévision française "Le Club Dorothée"

Des références tordues

Souvent, les rappeurs s’approprient les dessins animés pour les détourner, contrefaire les motivations des personnages. Un procédé efficace qui concilie la naïveté et l’innocence des programmes pour enfants avec le double sens crapuleux ou grossier de certaines punchlines. Un cocktail très contrasté,qui marrie des univers aux antipodes.

Ce goût du décalage est très prononcé dans les textes de Freeze Corleone. Sa drogue de choix, la lean, y est régulièrement évoquée à travers l’univers de Wakfu ou des Zinzins de l’espace, tandis que l’antre du petit scientifique du Laboratoire de Dexter devient tour à tour traphouse codéinée et sessions studio durant lesquelles sont concoctés les morceaux les plus illégaux. Des allusions qui apparaissent dès ses premières mixtapes :

 

J'fais mes expériences dans monlabo, négro j'suis comme Dexter

Qu’est ce qui se putain de passe, Freeze Corleone, 2012

 

La fournée la plus considérable est livrée à l’occasion du Projet Blue Beam, où elle apparait dans les titres Jeremy Lin, Lester et Fentanyl. Cette comparaison sera d’ailleurs abondamment reprise par ses acolytes du 667. Le collectif de Dakar partage un socle de références qui essaime dans les textes de chacun de ses membres :

C'est plus une cuisine, c'est l'labo d'Dexter

Kaki Santana, Gratter des bars, 2016

Dans l'labo, avec l'expertise de Dexter, hey

Afro S, Loin d’ici, 2016

 

Le laboratoire de Dexter

Bien souvent, les petits héros du service public s’encanaillent dans les textes de rap. Tour à tour, chimiste pro qui n’aurait pas à rougir devant Walter White, amateur de cannabinoïdes ou profond haïsseur de flics. De manière récurrente, les emcees s’identifient à des antagonistes, à d'anti-héros ou à des personnages secondaires. Le personnage de Gargamel en est l’un des exemples le plus probant. Probablement parce qu’il déteste les “hommes bleus à bonnet”. Une excellente raison d’apparaître au détour d’une rime, ce que le duo Gringe et Orelsan n’a pas manqué de souligner dans le « planète rap »de Fababy :

 

J'déteste ceux qui patrouillent enbleu, appelle-moi Gargamel

Planète Rap, Casseurs Flowters, 2013

Avec sa mine de conspirateur maléfique, Gargamel dégage un charisme noir, une aura qui attire de nombreux rappeurs ( Damso, Seth Gueko,Alkpote...). Dans Pigeons, Booba en fait un personnage ouvertement homophobe, le village des schtroumpfs n’étant peuplé que d’hommes, exception faite de la célèbre et très solitaires chtroumpfette.

 

Brigade anti-zamels, diaboliqueSwag, mode Gargamel

Pigeons, Autopsie 4, Booba

Pour parler des snitchs, des “balances” qui ont aussi bien saturées les séries policières américaines que les sous-sols de commissariats,les rappeurs avaient un personnage tout trouvé : Vomito, l’enfant maladif de Titeuf. Ixzo ou Zola y font notamment référence.

 

Devant les keufs à cracher les zebla #vomito

Hashtag, Bandiyagal, Ixzo

Parfois un personnage se double de connotations multiples. C’est le cas de Dora, la fameuse exploratrice. Foda C, de Columbine, en fait une référence typique de stoner. À un autre niveau de lecture, on devine les échos plus sombres que ces images suscitent autour de la folie et la solitude.

 

J’parle à mon sac à dos comme Dora

Elephant, Clubbing for Columbine,2016

 

Quelques années plus tôt, Diam’s l’associe à une réflexion plus politique dans l’emblématique Peter Pan, à la fois hymne à la jeunesse et panorama très désabusé de la société au début du millénaire.

 

Dora l’exploratrice a fait un touren Afrique,
One two three ici c'est pas l'Amérique nan
Elle a vu Kirikou et des parents à bout de nerfs
Quand ils ont vu qu'au Gabon on aimait bien Kouchner

Peter Pan, Diam’s, 2010

 

Dora fait aussi l’objet de très nombreuses punchlines sexistes,d’autant plus questionnables que les différentes incarnations de l’exploratrice ont entre… 7 et 16 ans. Pêle-mêle on a des “Dora l’exploratrice orale”, “Je veux toutes les prendre, j'suis un explorateur comme Dora “, ou encore “T'apprendre des trucs comme Dora, suce”. Une tendance qui concerne de nombreuses protagonistes féminines de dessins animés. De quoi s’interroger sur le rapport qu’entretiennent les rappeurs avec les figures de leur enfance...

Dora l'exploratrice

Une nostalgie générationnelle

Pourtant, il arrive que l’intégrité des petits héros de la télévision ne soit pas compromise par les rimes tordues de nos rappeurs, qui préfèrent conserver intacte la patine du souvenir.

Fait évident et simple, la nostalgie joue un rôle moteur pour de nombreux rappeurs, à la fois un écho à leur jeunesse et l’évocation d’un paradis perdu. Cette génération n’est pas la première à le faire, puisque l’album “Les Cités d’Or” des Psy 4 de la rime est construit sur un double sens. Le titre est une déclaration d’amour à la cité phocéenne et renvoie également aux édifices incas des Mystérieuses cités d’or. Ce parallélisme est évident dans “Ainsi”, le morceau introductif de l’album où le groupe reprend le générique du dessin animé en le décalant de cinq cents ans :

 

Le 21ème siècle aux 4 coins du monde
Les hommes se perdent et délaissentleur destinée

Ainsi, Psy 4 de la rime, 2008

D'autres rappeurs ont soigneusement imprégné leurs univers d’une atmosphère juvénile. C’est le cas de BigFlo et Oli qui ont bombardé leurs textes de références à leur vie au collège. Marques de gâteau et de sodas,céréales, consoles de jeu vidéo, heures de colles, tout y est passé. A la différence des autres, ils ont revendiqué pleinement leur quotidien banal de lycéen toulousain. Entre happy meal et soirée Ratchet et Clank, tout ce lot d’images n'avait alors pas de dimension nostalgique. Ils rappaient le monde auxquels ils appartenaient encore du fait de leur carrière précoce.

BigFlo et Oli

Il arrive que certains héros et héroïnes transcendent les bornes de l’enfance, comme les gardiens d’un ensemble de valeurs idéalisées dans les dessins animés. Totally spies, par exemple, a considérablement marqué l’univers de Babysolo33. La camaraderie et les amitiés fortes sont des notions mises systématiquement en avant dans ses textes. Le morceau “Tout pour leWoohp” est un manifeste sur la complicité et l’entraide féminine :

 

J’suis là comme une guerrière, j’meréveille le matin
J’ai qu’une chose dans la tête
C’est tout pour le Woohp
Tout pour le Woohp

Tout pour le WOOHP - SadBaby Confessions,Babysolo33.

Lors de son adolescence passée à Biarritz, on surnommait d’ailleurs son trio d’amies, “les totally spies” et sa boite de production s’intitulait Totally Prod’.

Série d'animation française "Totally Spies!"


De manière plus générale, Totally spies fait partie de ces programmes sortis après le début des années 2000 qui sont associés à une nouvelle génération de rappeurs. Les clins d’œil sont omniprésents, du sample du compoudrier dans le morceau Chambre 112 de Columbine  (ou du producteur Skunna en tant que gimmick)aux pléthoriques mentions des rappeurs à l’univers des espionnes : Dj Weedim,Youv Dee, Tha Homey&Skunna, Kerchak...

Des réf’ décomplexées

On ressent la génération des rappeurs en écoutant leurs références. Pop culture et rap ayant toujours fait bon ménage, c’est très naturellement que les emcees s’en sont nourris pour ressusciter les icônes de leur enfance. Il y a deux écoles qui se distinguent, celles des nostalgiques qui ont toujours conserver le lustre de ces souvenirs, et puis d’autres bien plus friands du détournement. L’enjeu est de choquer, d’enrober la mièvrerie de ces programmes pour enfants dans un univers trash.

Ils sont Cools, OrelSan feat. Gringe

Le hiatus entre les deux est tel, que la punch est souvent mémorable. Il est d’ailleurs amusant de remarquer l’ascension lente puis exponentielle des références au petit écran au début des années 2000. Ce rapport à l’enfance, autrefois passé sous silence, s’est démocratisé avec la diversification du rap au cours des deux dernières décennies. L’impression que chaque rappeur se devait de répondre à un certain cahier des charges a totalement disparue. Par exemple, la nécessité d’avoir une“street credibilité” qui était encore de mise au milieu des années 2000 n’a plus de légitimité aujourd’hui. Le rap est devenu beaucoup plus permissif,vecteur et incubateur de références infiniment plus éclectiques qu’à l’époque.

🖊️ Rédigé par Hippolyte Michel-Dalès
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